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Les fans sont-ils des archivistes ? (billet d'humeur) | Monsieur Vinyl
L'heure est à la capitalisation de la nostalgie. Aujourd'hui, bon nombre de collectionneurs de vinyles se trouvent baignés dans les rééditions. Un monde dans lequel vivent de nombreux vinyles couleurs, éditions 'limitées' ou 'spéciales'. Jamais le monde du vinyle n'a été aussi éloquent. Entre labels indépendants d'un côté et grosses forces commerciales de l'autre, le collectionneur se situerait-il aujourd'hui au milieu d'un carrefour ? Pourtant, la première question à se poser est celle-ci : le collectionneur est-il un 'archiviste', ou est-ce la fan-attitude qui a évolué ?
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Les fans sont-ils des archivistes ?

Les fans sont-ils des archivistes ? (billet d’humeur)

L’heure est à la capitalisation de la nostalgie. Aujourd’hui, bon nombre de collectionneurs de vinyles se trouvent baignés dans les rééditions. Un monde dans lequel vivent de nombreux vinyles couleurs, éditions ‘limitées’ ou ‘spéciales’. Jamais le monde du vinyle n’a été aussi éloquent. Entre labels indépendants d’un côté et grosses forces commerciales de l’autre, le collectionneur se situerait-il aujourd’hui au milieu d’un carrefour ? Pourtant, la première question à se poser est celle-ci : le collectionneur est-il un ‘archiviste’, ou est-ce la fan-attitude qui a évolué ?

Le monde est en constante mutation. Celui qui ne l’a pas compris ne vit pas avec son temps. Nous n’avons jamais eu autant accès à la culture, à l’information, aux nouvelles technologies. Tout est possible à celui qui le souhaite. Le vinyle, lui, s’est à nouveau imposé dans le paysage musical après plusieurs années de discrétion. De nos jours, pour ceux qui ne sont pas instruits au domaine, le collectionneur pourrait être perçu comme un doux dingue qui amoncelle une pléthore de supports en tous genres. Une étiquette me gêne pourtant : celle d’ ‘archiviste’.

Ceux qui me suivent depuis de nombreuses années sur ma chaîne YouTube se rappellent de ma visite à la Médiathèque Musicale de Paris. Damien, provenant du Pôle Médiation, m’y avait conté l’univers incroyable dans lequel il évoluait chaque jour. Un endroit rempli de plus de 90 000 vinyles, qui en fait le troisième endroit d’archives en France (après la Bibliothèque Nationale de France et les Archives de Radio France). Le terme ‘archiviste’ n’est-il pas davantage approprié à ce type d’endroit ?

Une infime partie des archives de la Médiathèque Musicale de Paris

 

La musique est un monde qui est loin d’être exempt d’émotions. Certes, engendrer des ventes, vivre de son activité – indépendamment ou non – est un moteur suffisamment légitime pour un artiste. D’ailleurs, le monde musical a toujours été divisé en deux : d’un côté les artistes qui fabriquent avec le cœur des morceaux à destination du public, de l’autre les financiers qui y voient une opportunité de vendre un produit ciblé au public.

Justement, le public, parlons-en… Il y a ceux qui seront séduits par un artiste et accepteront de payer leur billet de concert pour aller le voir en chair et en os. Il y a ceux qui tomberont sous le charme d’un album – d’un seul morceau ou d’un univers – et cela leur suffira amplement. Il y a enfin ceux qui voudront tout le package, non pas par pure folie mais par amour profond et sincère pour le travail de l’artiste ou pour ce qu’il représente à leurs yeux. Ce dernier point rejoint, dans un certain sens, ce qui anime un collectionneur dans son quotidien. À ce niveau, lorsqu’on aime, on ne compte pas. Les financiers, eux par contre, comptent.

C’est ainsi que l’on se retrouve un jour à découvrir l’existence d’un coffret de 22 vinyles 45 tours de Mylène Farmer proposé à un prix conseillé de 240 euros. La cible est clairement identifiée : le coffret s’adresse aux fans. Les fans seraient-ils suffisamment crédules pour qu’on leur propose une énième fois des vinyles qu’il possèdent déjà en plusieurs exemplaires dans leur collection ? Puis, le marketing pointe son nez dans l’affaire. On leur vend que ces vinyles sont colorés et que le coffret est numéroté à 1050 exemplaires. Même si la démarche est grossière, celui qui accepte d’acheter ce coffret devient-il pour autant un ‘archiviste’ ? À ce stade, que faisons-nous alors de l’amour porté à un artiste ? À une chanson ? À un enregistrement ?

Le coffret de Mylène Farmer contenant 22 vinyles

 

Pour ma part, je comprends les fans. Je comprends entièrement ce qui les anime et d’où provient leur fougue. Ils vivent intensément. Le cœur est au centre de leur collection. Je suis de leur côté, et je les soutiens. Je comprends aussi leurs déceptions face à l’arrivée de certains supports dans le commerce. Il me suffit de prendre comme exemple ce coffret de Michael Jackson qui voulait célébrer le dixième anniversaire de « This Is It ». Il incluait quatre vinyles bleus transparents, un livre de 60 pages, un ticket de concert dans une capsule en acrylique, et un Blu-Ray… le tout au prix de 540 euros ! Certes, la boîte était dotée de diodes… mais on sent bien que les financiers ont pris le dessus sur le produit. Jamais un fan n’aurait proposé un tel contenu dans le commerce, et encore moins à ce prix !

D’ailleurs, je crois pertinemment que les fans deviennent de plus en plus difficiles à convaincre. On ne leur vend plus des produits à l’image de leurs artistes comme cela pouvait être le cas il y a vingt ans. Nous vivons des temps décadents (comme le chantait Alain Souchon dans « Poulailler Song »). Tout doit être plus rapide, plus accessible. Consommez aujourd’hui un produit à la mode, et il sera dépassé le lendemain.

En compagnie de Hector Barjot, fan de Michael Jackson

 

Lorsque je me suis rendu chez Hector Barjot, cela m’a une nouvelle fois confirmé la mécanique d’un fan. Hector n’est pas un ‘archiviste’. Au contraire, il aime avec ferveur l’artiste qu’il collectionne, à savoir Michael Jackson. Il est doté d’un regard critique sur les nombreux produits marketing qui apparaissent depuis la mort du King Of Pop. Il a de quoi dire à ce sujet. Au-delà de cela, il garde en lui de nombreux souvenirs concrets. Au cœur de sa collection, on y trouve de l’humain. Si cela s’arrêtait aux supports, sans émotionnel aucun, dans l’unique but de rassembler, on pourrait commencer à reconsidérer les choses. Toutefois, un fan n’est définitivement pas un ‘archiviste’.

Je terminerais ce billet d’humeur en me concentrant sur l’aspect patrimonial. Si collectionner des vinyles c’est gérer un patrimoine, alors vous n’êtes plus un véritable collectionneur ; vous devenez un spéculateur. Spéculateur est un terme opposé à celui de fan, puisque – dans son essence – un spéculateur remarque l’argent avant le cœur. Un vinyle aura pour lui une signification de ‘placement financier’ ou de ‘retour sur investissement’. Même la Médiathèque Musicale de Paris – citée plus haut dans mon billet – ne va pas aussi loin dans la démarche !

Un fan prendra toujours le temps de se pencher sur le travail d’un artiste, d’un album,…cela peut même lui prendre des années. Il ne réduit pas l’artiste seulement à un support comportant une valeur financière, qu’il finira par ranger sur son étagère aux côtés d’autres supports en attendant qu’il obtiennent une valeur financière satisfaisante. Pour un fan, la valeur de l’artiste est émotionnelle et intemporelle. Il y reviendra systématiquement.

En conclusion, être un ‘archiviste’, c’est conserver et entretenir un patrimoine. Être un fan, c’est être connecté à ce que l’on aime. Deux mondes, deux visions, dont il est important de rappeler la définition.

Et vous, où vous situez-vous ?

P.S. : entre temps, le coffret de vinyles de Mylène Farmer a eu le temps d’être proposé d’occasion entre 700 et 1300 euros sur le web…